Les Contemplations

XIV. – À Granville, en 1836

 

Voici juin. Le moineau raille

Dans les champs les amoureux ;

Le rossignol de muraille

Chante dans son nid pierreux.

Les herbes et les branchages,

Pleins de soupirs et d’abois,

Font de charmants rabâchages

Dans la profondeur des bois.

La grive et la tourterelle

Prolongent, dans les nids sourds,

La ravissante querelle

Des baisers et des amours.

Sous les treilles de la plaine,

Dans l’antre où verdit l’osier,

Virgile enivre Silène,

Et Rabelais Grandgousier.

Ô Virgile, verse à boire !

Verse à boire, ô Rabelais !

La forêt est une gloire ;

La caverne est un palais !

Il n’est pas de lac ni d’île

Qui ne nous prenne au gluau,

Qui n’improvise une idylle,

Ou qui ne chante un duo.

Car l’amour chasse aux bocages,

Et l’amour pêche aux ruisseaux,

Car les belles sont les cages

Dont nos cœurs sont les oiseaux.

De la source, sa cuvette,

La fleur, faisant son miroir,

Dit : « Bonjour », à lafauvette,

Et dit au hibou :« Bonsoir. »

Le toit espère la gerbe,

Pain d’abord et chaume après ;

La croupe du bœuf dans l’herbe

Semble un mont dans les forêts.

L’étang rit à la macreuse,

Le pré rit au loriot,

Pendant que l’ornière creuse

Gronde le lourd chariot.

L’or fleurit en giroflée ;

L’ancien zéphyr fabuleux

Souffle avec sa joue enflée

Au fond des nuages bleus.

Jersey, sur l’onde docile,

Se drape d’un beau ciel pur,

Et prend des airs de Sicile

Dans un grand haillon d’azur.

Partout l’églogue est écrite ;

Même en la froide Albion,

L’air est plein de Théocrite,

Le vent sait par cœur Bion ;

Et redit, mélancolique,

La chanson que fredonna

Moschus, grillon bucolique

De la cheminée Etna.

L’hiver tousse, vieux phthisique,

Et s’en va ; la brume fond ;

Les vagues font la musique

Des vers que les arbres font.

Toute la nature sombre

Verse un mystérieux jour ;

L’âme qui rêve a plus d’ombre

Et la fleur a plus d’amour.

L’herbe éclate en pâquerettes ;

Les parfums, qu’on croit muets,

Content les peines secrètes

Des liserons aux bleuets.

Les petites ailes blanches

Sur les eaux et les sillons

S’abattent en avalanches ;

Il neige des papillons.

Et sur la mer, qui reflète

L’aube au sourire d’émail,

La bruyère violette

Met au vieux mont un camail ;

Afin qu’il puisse, à l’abîme

Qu’il contient et qu’il bénit,

Dire sa messe sublime

Sous sa mitre de granit.

Granville, juin 1836.

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