XXVII.
Oui, je suis le rêveur ; je suis lecamarade
Des petites fleurs d’or du mur qui sedégrade,
Et l’interlocuteur des arbres et du vent.
Tout cela me connaît, voyez-vous. J’aisouvent,
En mai, quand de parfums les branches sontgonflées,
Des conversations avec lesgiroflées ;
Je reçois des conseils du lierre et dubleuet.
L’être mystérieux, que vous croyez muet,
Sur moi se penche, et vient avec ma plumeécrire.
J’entends ce qu’entendit Rabelais ; jevois rire
Et pleurer ; et j’entends ce qu’Orphéeentendit.
Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit
La nature aux soupirs ineffables. Je cause
Avec toutes les voix de la métempsycose.
Avant de commencer le grand concert sacré,
Le moineau, le buisson, l’eau vive dans lepré,
La forêt, basse énorme, et l’aile et lacorolle,
Tous ces doux instruments, m’adressent laparole ;
Je suis l’habitué de l’orchestredivin ;
Si je n’étais songeur, j’aurais étésylvain.
J’ai fini, grâce au calme en qui je merecueille,
À force de parler doucement à la feuille,
À la goutte de pluie, à la plume, aurayon,
Par descendre à ce point dans la création,
Cet abîme où frissonne un tremblementfarouche,
Que je ne fais plus même envoler unemouche !
Le brin d’herbe, vibrant d’un éternelémoi,
S’apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s’apercevoir que je suis là, lesroses
Font avec les bourdons toutes sortes dechoses ;
Quelquefois, à travers les doux rameauxbénis,
J’avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mère inquiète etsainte,
N’a pas plus peur de moi que nous n’aurions decrainte,
Nous, si l’œil du bon Dieu regardait dans nostrous ;
Le lis prude me voit approcher sanscourroux,
Quand il s’ouvre aux baisers du jour ; laviolette
La plus pudique fait devant moi satoilette ;
Je suis pour ces beautés l’ami discret etsûr ;
Et le frais papillon, libertin de l’azur,
Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue,
Si je viens à passer dans l’ombre,continue,
Et, si la fleur se veut cacher dans legazon,
Il lui dit : « Es-tu bête ! Ilest de la maison. »
LesRoches, août 1835.