Les Contemplations

XXIII. – Le revenant

 

Mères en deuil, vos cris là-haut sontentendus.

Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseauxperdus,

Parfois au même nid rend la même colombe.

Ô mères, le berceau communique à la tombe.

L’éternité contient plus d’un divinsecret.

La mère dont je vais vous parler demeurait

À Blois ; je l’ai connue en un temps plusprospère ;

Et sa maison touchait à celle de mon père.

Elle avait tous les biens que Dieu donne oupermet.

On l’avait mariée à l’homme qu’elleaimait.

Elle eut un fils ; ce fut une ineffablejoie.

Ce premier-né couchait dans un berceau desoie ;

Sa mère l’allaitait ; il faisait un douxbruit

À côté du chevet nuptial ; et, lanuit,

La mère ouvrait son âme aux chimères sansnombre,

Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dansl’ombre,

Quand, sans souffle, sans voix, renonçant ausommeil,

Penchée, elle écoutait dormir l’enfantvermeil.

Dès l’aube, elle chantait, ravie et toutefière.

Elle se renversait sur sa chaise enarrière,

Son fichu laissant voir son sein gonflé delait,

Et souriait au faible enfant, etl’appelait

Ange, trésor, amour ; et mille folleschoses.

Oh ! comme elle baisait ces beaux petitspieds roses !

Comme elle leur parlait ! l’enfant,charmant et nu,

Riait, et, par ses mains sous les brassoutenu,

Joyeux, de ses genoux montait jusqu’à sabouche.

Tremblant comme le daim qu’une feuilleeffarouche,

Il grandit. Pour l’enfant, grandir, c’estchanceler.

Il se mit à marcher, il se mit à parler,

Il eut trois ans ; doux âge, où déjà laparole,

Comme le jeune oiseau, bat de l’aile ets’envole.

Et la mère disait : « Monfils ! » et reprenait :

« Voyez comme il est grand ! ilapprend ; il connaît

Ses lettres. C’est un diable ! Il veutque je l’habille

En homme ; il ne veut plus de ses robesde fille ;

C’est déjà très méchant, ces petitshommes-là !

C’est égal, il lit bien ; il iraloin ; il a

De l’esprit ; je lui fais épelerl’Évangile. » –

Et ses yeux adoraient cette tête fragile,

Et, femme heureuse, et mère au regardtriomphant,

Elle sentait son cœur battre dans sonenfant.

Un jour, – nous avons tous de ces datesfunèbres ! –

Le croup, monstre hideux, épervier desténèbres,

Sur la blanche maison brusquements’abattit,

Horrible, et, se ruant sur le pauvrepetit,

Le saisit à la gorge ; ô noiremaladie !

De l’air par qui l’on vit sinistreperfidie !

Qui n’a vu se débattre, hélas ! ces douxenfants

Qu’étreint le croup féroce en ses doigtsétouffants !

Ils luttent ; l’ombre emplit lentementleurs yeux d’ange,

Et de leur bouche froide il sort un râleétrange,

Et si mystérieux, qu’il semble qu’onentend,

Dans leur poitrine, où meurt le soufflehaletant,

L’affreux coq du tombeau chanter son aubeobscure.

Tel qu’un fruit qui du givre a senti lapiqûre,

L’enfant mourut. La mort entra comme unvoleur

Et le prit. – Une mère ; un père, ladouleur,

Le noir cercueil, le front qui se heurte auxmurailles,

Les lugubres sanglots qui sortent desentrailles,

Oh ! la parole expire où commence lecri ;

Silence aux mots humains !

La mère au cœur meurtri,

Pendant qu’à ses côtés pleurait le pèresombre,

Resta trois mois sinistre, immobile dansl’ombre,

L’œil fixe, murmurant on ne sait quoid’obscur,

Et regardant toujours le même angle dumur.

Elle ne mangeait pas ; sa vie était safièvre ;

Elle ne répondait à personne ; salèvre

Tremblait ; on l’entendait, avec un morneeffroi,

Qui disait à voix basse à quelqu’un : –Rends-le-moi ! –

Et le médecin dit au père : – Il fautdistraire

Ce cœur triste, et donner à l’enfant mort unfrère. –

Le temps passa ; les jours, les semaines,les mois.

Elle se sentit mère une seconde fois.

Devant le berceau froid de son angeéphémère,

Se rappelant l’accent dont il disait : –Ma mère, –

Elle songeait, muette, assise sur son lit.

Le jour où, tout à coup, dans son flanctressaillit

L’être inconnu promis à notre aubemortelle,

Elle pâlit. – Quel est cet étranger ?dit-elle.

Puis elle cria, sombre et tombant àgenoux :

– Non, non, je ne veux pas !non ! tu serais jaloux !

Ô mon doux endormi, toi que la terreglace,

Tu dirais : « On m’oublie ; unautre a pris ma place ;

« Ma mère l’aime, et rit ; elle letrouve beau,

« Elle l’embrasse, et, moi, je suis dansmon tombeau ! »

Non, non ! –

Ainsi pleurait cette douleur profonde.

Le jour vint ; elle mit un autre enfantau monde,

Et le père joyeux cria : – C’est ungarçon.

Mais le père était seul joyeux dans lamaison ;

La mère restait morne, et la pâleaccouchée,

Sur l’ancien souvenir tout entièrepenchée,

Rêvait ; on lui porta l’enfant sur uncoussin ;

Elle se laissa faire et lui donna lesein ;

Et tout à coup, pendant que, farouche,accablée,

Pensant au fils nouveau moins qu’à l’âmeenvolée,

Hélas ! et songeant moins aux langesqu’au linceul,

Elle disait : – Cet ange en son sépulcreest seul !

– Ô doux miracle ! ô mère au bonheurrevenue ! –

Elle entendit, avec une voix bien connue,

Le nouveau-né parler dans l’ombre entre sesbras,

Et tout bas murmurer : – C’est moi. Ne ledis pas.

Août 1843.

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