Les Contemplations

X. – Amour

 

Amour ! « Loi », dit Jésus.« Mystère », dit Platon.

Sait-on quel fil nous lie au firmament ?Sait-on

Ce que les mains de Dieu dans l’immensitésèment ?

Est-on maître d’aimer ? Pourquoi deuxêtres s’aiment,

Demande à l’eau qui court, demande à l’air quifuit,

Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,

Au rayon d’or qui vient baiser la grappemûre !

Demande à ce qui chante, appelle, attend,murmure !

Demande aux nids profonds qu’avril met enémoi !

Le cœur éperdu crie : Est-ce que je sais,moi ?

Cette femme a passé : je suis fou. C’estl’histoire.

Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle étaitnoire ;

En plein midi, joyeuse, une fleur aucorset,

Illumination du jour, elle passait ;

Elle allait, la charmante, et riait, lasuperbe ;

Ses petits pieds semblaient chuchoter avecl’herbe ;

Un oiseau bleu volait dans l’air, et meparla ;

Et comment voulez-vous que j’échappe àcela ?

Est-ce que je sais, moi ? C’était autemps des roses ;

Les arbres se disaient tout bas de douceschoses ;

Les ruisseaux l’ont voulu, les fleurs l’ontcomploté.

J’aime ! – Ô Bodin, Vouglans,Delancre ! prévôté,

Bailliage, châtelet, grand’chambre,saint-office,

Demandez le secret de ce doux maléfice

Aux vents, au frais printemps chassant l’hiverhagard,

Au philtre qu’un regard boit dans l’autreregard,

Au sourire qui rêve, à la voix quicaresse,

À ce magicien, à cette charmeresse !

Demandez aux sentiers traîtres qui, dans lesbois,

Vous font recommencer les mêmes pas centfois,

À la branche de mai, cette Armide quiguette,

Et fait tourner sur nous en cercle sabaguette !

Demandez à la vie, à la nature, aux cieux,

Au vague enchantement des champsmystérieux !

Exorcisez le pré tentateur, l’antre,l’orme !

Faites, Cujas au poing, un bon procès enforme

Aux sources dont le cœur écoute lessanglots,

Au soupir éternel des forêts et des flots.

Dressez procès-verbal contre lespâquerettes

Qui laissent les bourdons froisser leurscollerettes ;

Instrumentez ; tonnez. Prouvez que deuxamants

Livraient leur âme aux fleurs, aux bois, auxlacs dormants,

Et qu’ils ont fait un pacte avec la lunesombre,

Avec l’illusion, l’espérance aux yeuxd’ombre,

Et l’extase chantant des hymnes inconnus,

Et qu’ils allaient tous deux, dès que brillaitVénus,

Sur l’herbe que la brise agite parbouffées,

Danser au bleu sabbat de ces nocturnesfées,

Éperdus, possédés d’un adorable ennui,

Elle n’étant plus elle et lui n’étant pluslui !

Quoi ! nous sommes encore aux temps où laTournelle,

Déclarant la magie impie et criminelle,

Lui dressait un bûcher par arrêt de lacour,

Et le dernier sorcier qu’on brûle, c’estl’Amour !

Juillet 1843.

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