XXIX. – La nature
La terre est de granit, les ruisseaux sont demarbre ;
C’est l’hiver ; nous avons bien froid.Veux-tu, bon arbre,
Être dans mon foyer la bûche deNoël ?
– Bois, je viens de la terre, et, feu, jemonte au ciel.
Frappe, bon bûcheron. Père, aïeul, homme,femme,
Chauffez au feu vos mains, chauffez à Dieuvotre âme.
Aimez, vivez. – Veux-tu, bon arbre, êtretimon
De charrue ? – Oui, je veux creuser lenoir limon,
Et tirer l’épi d’or de la terre profonde.
Quand le soc a passé, la plaine devientblonde,
La paix aux doux yeux sort du sillonentr’ouvert.
Et l’aube en pleurs sourit. – Veux-tu, belarbre vert.
Arbre du hallier sombre où le chevreuils’échappe,
De la maison de l’homme être le pilier ?– Frappe.
Je puis porter les toits, ayant porté lesnids.
Ta demeure est sacrée, homme, et je labénis ;
Là, dans l’ombre et l’amour, pensif, tu terecueilles ;
Et le bruit des enfants ressemble au bruit desfeuilles.
– Veux-tu, dis-moi, bon arbre, être mâtde vaisseau ?
– Frappe, bon charpentier. Je veux bienêtre oiseau.
Le navire est pour moi, dans l’immensemystère,
Ce qu’est pour vous la tombe ; ilm’arrache à la terre,
Et, frissonnant, m’emporte à traversl’infini.
J’irai voir ces grands cieux d’où l’hiver estbanni,
Et dont plus d’un essaim me parle à sonpassage.
Pas plus que le tombeau n’épouvante lesage,
Le profond Océan, d’obscurité vêtu,
Ne m’épouvante point : oui, frappe. –Arbre, veux-tu
Être gibet ? – Silence, homme !va-t’en, cognée !
J’appartiens à la vie, à la vieindignée !
Va-t’en, bourreau ! va-t’en, juge !fuyez, démons !
Je suis l’arbre des bois, je suis l’arbre desmonts ;
Je porte les fruits mûrs, j’abrite lespervenches ;
Laissez-moi ma racine et laissez-moi mesbranches !
Arrière ! hommes, tuez ! ouvriers dutrépas,
Soyez sanglants, mauvais, durs ; mais nevenez pas,
Ne venez pas, traînant des cordes et deschaînes,
Vous chercher un complice au milieu des grandschênes !
Ne faites pas servir à vos crimes,vivants,
L’arbre mystérieux à qui parlent lesvents !
Vos lois portent la nuit sur leurs ailesfunèbres.
Je suis fils du soleil, soyez fils desténèbres.
Allez-vous-en ! laissez l’arbre dans sesdéserts.
À vos plaisirs, aux jeux, aux festins, auxconcerts,
Accouplez l’échafaud et le supplice :faites.
Soit. Vivez et tuez. Tuez, entre deuxfêtes,
Le malheureux, chargé de fautes et demaux ;
Moi, je ne mêle pas de spectre à mesrameaux !
Janvier 1843.