LIVRE PREMIER – AURORE
I. – À ma fille
Ô mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du mondeéloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ?jamais.
– Résignée ! –
Sois bonne et douce, et lève un frontpieux.
Comme le jour dans les cieux met saflamme,
Toi, mon enfant, dans l’azur de tes yeux
Mets ton âme !
Nul n’est heureux et nul n’est triomphant.
L’heure est pour tous une choseincomplète ;
L’heure est une ombre, et notre vie,enfant,
En est faite.
Oui, de leur sort tous les hommes sontlas.
Pour être heureux, à tous, – destinmorose ! –
Tout a manqué. Tout, c’est-à-dire,hélas !
Peu de chose.
Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l’univers chacun cherche etdésire :
Un mot, un nom, un peu d’or, un regard,
Un sourire !
La gaîté manque au grand roi sansamours ;
La goutte d’eau manque au désert immense.
L’homme est un puits où le vide toujours
Recommence.
Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nousdominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S’illuminent !
Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d’ombre.
Le ciel, qui sait nos maux et nosdouleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.
Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu’il est et sur ce que noussommes ;
Une loi sort des choses d’ici-bas,
Et des hommes !
Cette loi sainte, il faut s’y conformer.
Et la voici, toute âme y peutatteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; toutaimer,
Ou tout plaindre !
Paris, octobre 1842.