III.
Un spectre m’attendait dans un grand angled’ombre,
Et m’a dit :
– Le muet habite dans le sombre.
L’infini rêve, avec un visage irrité.
L’homme parle et dispute avec l’obscurité,
Et la larme de l’œil rit du bruit de labouche.
Tout ce qui vous emporte est rapide etfarouche.
Sais-tu pourquoi tu vis ? sais-tupourquoi tu meurs ?
Les vivants orageux passent dans lesrumeurs,
Chiffres tumultueux, flots de l’océanNombre.
Vous n’avez rien à vous qu’un souffle dans del’ombre ;
L’homme est à peine né, qu’il est déjàpassé,
Et c’est avoir fini que d’avoir commencé.
Derrière le mur blanc, parmi les herbesvertes,
La fosse obscure attend l’homme, lèvresouvertes.
La mort est le baiser de la bouchetombeau.
Tâche de faire un peu de bien, coupe unlambeau
D’une bonne action dans cette nuit quigronde ;
Ce sera ton linceul dans la terreprofonde.
Beaucoup s’en sont allés qui ne reviendrontplus
Qu’à l’heure de l’immense et lugubrereflux ;
Alors, on entendra des cris. Tâche devivre ;
Crois. Tant que l’homme vit, Dieu pensif litson livre.
L’homme meurt quand Dieu fait au coin du livreun pli.
L’espace sait, regarde, écoute. Il estrempli
D’oreilles sous la tombe, et d’yeux dans lesténèbres.
Les morts ne marchant plus, dressent leurspieds funèbres ;
Les feuilles sèches vont et roulent sous lescieux.
Ne sens-tu pas souffler le ventmystérieux ?
Audolmen de Rozel, avril 1853.