Les Contemplations

XVI. – Lueur au couchant

 

Lorsque j’étais en France, et que le peuple enfête

Répandait dans Paris sa grande joiehonnête,

Si c’était un des jours glorieux etvainqueurs

Où les fiers souvenirs, désaltérant lescœurs,

S’offrent à notre soif comme de largescoupes,

J’allais errer tout seul parmi les riantsgroupes,

Ne parlant à personne et pourtant calme etdoux,

Trouvant ainsi moyen d’être un et d’êtretous,

Et d’accorder en moi, pour une doubleétude,

L’amour du peuple avec mon goût desolitude.

Rêveur, j’étais heureux ; muet, j’étaisprésent.

Parfois je m’asseyais un livre en main,lisant.

Virgile, Horace, Eschyle, ou bien Dante, leurfrère ;

Puis je m’interrompais, et, me laissantdistraire

Des poëtes par toi, poésie, et content,

Je savourais l’azur, le soleil éclatant,

Paris, les seuils sacrés, et la Seine quicoule,

Et cette auguste paix qui sortait de lafoule.

Dès lors pourtant des voix murmuraient :Anankè.

Je passais ; et partout, sur le pont, surle quai,

Et jusque dans les champs, étincelait lerire,

Haillon d’or que la joie en bondissantdéchire.

Le Panthéon brillait comme une vision.

La gaîté d’une altière et libre nation

Dansait sous le ciel bleu dans les placespubliques ;

Un rayon qui semblait venir des tempsbibliques

Illuminait Paris calme etpatriarcal ;

Ce lion dont l’œil met en fuite le chacal,

Le peuple des faubourgs se promenaittranquille.

Le soir, je revenais ; et dans toute laville,

Les passants, éclatant en strophes, enrefrains,

Ayant leurs doux instincts de liberté pourfreins,

Du Louvre au Champ-de-Mars, de Chaillot à laGrève,

Fourmillaient ; et, pendant que monesprit, qui rêve

Dans la sereine nuit des penseurs étoilés,

Et dresse ses rameaux à leurs lueursmêlés,

S’ouvrait à tous ces cris charmants commel’aurore,

À toute cette ivresse innocente et sonore,

Paisibles, se penchant, noirs et tout semésd’yeux,

Sous le ciel constellé, sur le peuplejoyeux,

Les grands arbres pensifs des vieuxChamps-Élysées,

Pleins d’astres, consentaient à s’emplir defusées.

Et j’allais, et mon cœur chantait ; etles enfants

Embarrassaient mes pas de leurs jeuxtriomphants,

Où s’épanouissaient les mères defamille ;

Le frère avec la sœur, le père avec lafille,

Causaient ; je contemplais tous ces hautsmonuments

Qui semblent au songeur rayonnants oufumants,

Et qui font de Paris la deuxième desRomes ;

J’entendais près de moi rire les jeuneshommes

Et les graves vieillards dire : « Jeme souviens. »

Ô patrie ! ô concorde entre lescitoyens !

Marine-Terrace, juillet 1855.

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