VIII.
Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! levieux livre austère,
Le poëme éternel ! – La Bible ? –Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le cielbleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs deDieu.
J’épelle les buissons, les brins d’herbe, lessources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mescourses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mespieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux nonfrayés,
Et j’étudie à fond le texte, et je mepenche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et labranche.
Donc, courbé, – c’est ainsi qu’en marchant jetraduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits,–
J’étais en train de lire un champ, pagefleurie.
Je fus interrompu dans cetterêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : – Ô pauvrehomme, tremblant
Entre le doute morne et la foi quidélivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans celivre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseuragité,
Et que les champs profonds t’emplissent declarté !
Il est sain de toujours feuilleter lanature,
Car c’est la grande lettre et la grandeécriture ;
Car la terre, cantique où nous nousabîmons,
A pour versets les bois et pour strophes lesmonts !
Lis. Il n’est rien dans tout ce que peutsonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne senomme.
Médite. Tout est plein de jour, même lanuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime oudétruit,
A des rayons : la roue au dur moyeu,l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de satoile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’estaimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe àgermer,
L’eau, les prés, sont autant de phrases où lesage
Voit serpenter des sens qu’il saisit aupassage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste,vois-tu ;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.
Bien lire l’univers, c’est bien lire lavie.
Le monde est l’œuvre où rien ne ment et nedévie,
Et dont les mots sacrés répandent del’encens.
L’homme injuste est celui qui fait descontre-sens.
Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, lescauses,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseaunoir,
L’arabesque des bois sur les cuivres dusoir,
La bête, le rocher, l’épi d’or, l’ailepeinte,
Tout cet ensemble obscur, végétationsainte,
Compose en se croisant ce chiffreénorme : DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui durepeu ;
Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseurcontemplée ;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’ons’éblouit.
Le lys que tu comprends en tois’épanouit ;
Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisibleflamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur lechemin ;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non lamain.
Ainsi tu fais ; aussi l’aube est sur tonfront sombre ;
Aussi tu deviens bon, juste et sage ; etdans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau.–
Je répondis : – Hélas ! tu tetrompes, oiseau.
Ma chair, faite de cendre, à chaque instantsuccombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans latombe ;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ouméchant.
Et je continuai la lecture du champ.
Juillet 1843.