XXIV.
J’ai cueilli cette fleur pour toi sur lacolline.
Dans l’âpre escarpement qui sur le flots’incline,
Que l’aigle connaît seul et seul peutapprocher,
Paisible, elle croissait aux fentes durocher.
L’ombre baignait les flancs du mornepromontoire ;
Je voyais, comme on dresse au lieu d’unevictoire
Un grand arc de triomphe éclatant etvermeil,
À l’endroit où s’était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s’enfuyaient, au loindiminuées ;
Quelques toits, s’éclairant au fond d’unentonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisservoir.
J’ai cueilli cette fleur pour toi, mabien-aimée.
Elle est pâle et n’a pas de corolleembaumée.
Sa racine n’a pris sur la crête des monts
Que l’amère senteur des glauquesgoémons ;
Moi, j’ai dit : « Pauvre fleur, duhaut de cette cime,
Tu devais t’en aller dans cet immenseabîme
Où l’algue et le nuage et les voiles s’envont.
Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite unmonde.
Le ciel, qui te créa pour t’effeuiller dansl’onde,
Te fit pour l’océan, je te donne àl’amour. »
Le vent mêlait les flots ; il ne restaitdu jour
Qu’une vague lueur, lentement effacée.
Oh ! comme j’étais triste au fond de mapensée
Tandis que je songeais, et que le gouffrenoir
M’entrait dans l’âme avec tous les frissons dusoir !
Îlede Serk, août 1855.