X. – Aux feuillantines
Mes deux frères et moi, nous étions toutenfants.
Notre mère disait : « Jouez, mais jedéfends
Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monteaux échelles. »
Abel était l’aîné, j’étais le plus petit.
Nous mangions notre pain de si bonappétit,
Que les femmes riaient quand nous passionsprès d’elles.
Nous montions pour jouer au grenier ducouvent.
Et, là, tout en jouant, nous regardionssouvent,
Sur le haut d’une armoire, un livreinaccessible.
Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livrenoir ;
Je ne sais pas comment nous fîmes pourl’avoir,
Mais je me souviens bien que c’était uneBible.
Ce vieux livre sentait une odeurd’encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nousasseoir ;
Des estampes partout ! quelbonheur ! quel délire !
Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nosgenoux,
Et, dès le premier mot, il nous parut sidoux,
Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes àlire.
Nous lûmes tous les trois ainsi tout lematin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
Et, toujours plus charmés, le soir nous lerelûmes.
Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau descieux,
S’appellent en riant et s’étonnent,joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de sesplumes.
Marine-Terrace, août 1855.