IX.
Le poëme éploré se lamente ; le drame
Souffre, et par vingt acteurs répand à flotsson âme ;
Et la foule accoudée un moments’attendrit,
Puis reprend : « Bah ! l’auteurest un homme d’esprit,
« Qui, sur de faux héros lançant de fauxtonnerres,
« Rit de nous voir pleurer leurs mauximaginaires.
« Ma femme, calme-toi ; sèche tesyeux, ma sœur. »
La foule a tort : l’esprit, c’est lecœur ; le penseur
Souffre de sa pensée et se brûle à saflamme.
Le poëte a saigné le sang qui sort dudrame ;
Tous ces êtres qu’il fait l’étreignent deleurs nœuds ;
Il tremble en eux, il vit en eux, il meurt eneux ;
Dans sa création le poëtetressaille ;
Il est elle, elle est lui ; quand dansl’ombre il travaille,
Il pleure, et s’arrachant les entrailles, lesmet
Dans son drame, et, sculpteur, seul sur sonnoir sommet
Pétrit sa propre chair dans l’argilesacrée ;
Il y renaît sans cesse, et ce songeur quicrée
Othello d’une larme, Alceste d’un sanglot,
Avec eux pêle-mêle en ses œuvres éclôt.
Dans sa genèse immense et vraie, une etdiverse,
Lui, le souffrant du mal éternel, il severse,
Sans épuiser son flanc d’où sort uneclarté.
Ce qui fait qu’il est dieu, c’est plusd’humanité.
Il est génie, étant, plus que les autres,homme.
Corneille est à Rouen, mais son âme est àRome ;
Son front des vieux Catons porte le mâleennui.
Comme Shakspeare est pâle ! avant Hamlet,c’est lui
Que le fantôme attend sur l’âpreplate-forme,
Pendant qu’à l’horizon surgit la luneénorme.
Du mal dont rêve Argan, Poquelin estmourant ;
Il rit : oui, peuple, il râle ! AvecUlysse errant,
Homère éperdu fuit dans la brume marine.
Saint Jean frissonne : au fond de sasombre poitrine,
L’Apocalypse horrible agite son tocsin.
Eschyle ! Oreste marche et rugit dans tonsein,
Et c’est, ô noir poëte à la lèvre irritée,
Sur ton crâne géant qu’est clouéProméthée.
Paris, janvier 1834.