XIX. – Baraques de la foire
Lion ! j’étais pensif, ô bêteprisonnière,
Devant la majesté de ta gravecrinière ;
Du plafond de ta cage elle faisait undais.
Nous songions tous les deux, et tu meregardais.
Ton regard était beau, lion. Nous autreshommes,
Le peu que nous faisons et le rien que noussommes,
Emplit notre pensée, et dans nos regardsvains
Brillent nos plans chétifs que nous croyonsdivins,
Nos vœux, nos passions que notre orgueilencense,
Et notre petitesse, ivre de sapuissance ;
Et, bouffis d’ignorance ou gonflés devenin,
Notre prunelle éclate et dit : Je suis cenain !
Nous avons dans nos yeux notre moimisérable.
Mais la bête qui vit sous le chêne etl’érable,
Qui paît le thym, ou fuit dans les halliersprofonds,
Qui dans les champs, où nous, hommes, nousétouffons,
Respire, solitaire, avec l’astre et larose,
L’être sauvage, obscur et tranquille quicause
Avec la roche énorme et les petitesfleurs,
Qui, parmi les vallons et les sources enpleurs,
Plonge son mufle roux aux herbes nonfoulées,
La brute qui rugit sous les nuitsconstellées,
Qui rêve et dont les pas fauves etfamiliers
De l’antre formidable ébranlent lespiliers,
Et qui se sent à peine en ces profondeurssombres,
A sous son fier sourcil les monts, les vastesombres,
Les étoiles, les prés, le lac serein, lescieux,
Et le mystère obscur des bois silencieux,
Et porte en son œil calme, où l’infinicommence,
Le regard éternel de la nature immense.
Juin 1842.