XIII. – Veni, vidi, vixi
J’ai bien assez vécu, puisque dans mesdouleurs
Je marche, sans trouver de bras qui mesecourent,
Puisque je ris à peine aux enfants quim’entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par lesfleurs ;
Puisqu’au printemps, quand Dieu met la natureen fête,
J’assiste, esprit sans joie, à ce splendideamour ;
Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit lejour,
Hélas ! et sent de tout la tristessesecrète ;
Puisque l’espoir serein dans mon âme estvaincu ;
Puisqu’en cette saison des parfums et desroses,
Ô ma fille ! j’aspire à l’ombre où tureposes,
Puisque mon cœur est mort, j’ai bien assezvécu.
Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? Lavoici.
J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.
J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi,j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de mapeine.
Je me suis étonné d’être un objet dehaine,
Ayant beaucoup souffert et beaucouptravaillé.
Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucuneaile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur lesmains,
Morne, épuisé, raillé par les forçatshumains,
J’ai porté mon chaînon de la chaîneéternelle.
Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’àdemi ;
Je ne me tourne plus même quand on menomme ;
Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme unhomme
Qui se lève avant l’aube et qui n’a pasdormi.
Je ne daigne plus même, en ma sombreparesse,
Répondre à l’envieux dont la bouche menuit.
Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de lanuit,
Afin que je m’en aille et que jedisparaisse !
Avril 1848.