Les Contemplations

XVII. – Charles Vacquerie

 

Il ne sera pas dit que ce jeune homme, ôdeuil !

Se sera de ses mains ouvert l’affreuxcercueil

Où séjourne l’ombre abhorrée,

Hélas ! et qu’il aura lui-même dans lamort

De ses jours généreux, encor pleins jusqu’aubord,

Renversé la coupe dorée,

Et que sa mère, pâle et perdant la raison,

Aura vu rapporter au seuil de sa maison,

Sous un suaire aux plis funèbres,

Ce fils, naguère encor pareil au jour quinaît,

Maintenant blême et froid, tel que la mortvenait

De le faire pour les ténèbres ;

Il ne sera pas dit qu’il sera mort ainsi,

Qu’il aura, cœur profond et par l’amoursaisi,

Donné sa vie à ma colombe,

Et qu’il l’aura suivie au lieu morne etvoilé,

Sans que la voix du père à genoux aitparlé

À cette âme dans cette tombe !

En présence de tant d’amour et de vertu,

Il ne sera pas dit que je me serai tu,

Moi qu’attendent les maux sansnombre !

Que je n’aurai point mis sur sa bière unflambeau,

Et que je n’aurai pas devant son noirtombeau

Fait asseoir une strophe sombre !

N’ayant pu la sauver, il a voulu mourir.

Sois béni, toi qui, jeune, à l’âge où vients’offrir

L’espérance joyeuse encore,

Pouvant rester, survivre, épuiser tesprintemps,

Ayant devant les yeux l’azur de tes vingtans

Et le sourire de l’aurore,

À tout ce que promet la jeunesse, auxplaisirs,

Aux nouvelles amours, aux oublieux désirs

Par qui toute peine est bannie,

À l’avenir, trésor des jours à peineéclos,

À la vie, au soleil, préféras sous lesflots

L’étreinte de cette agonie !

Oh ! quelle sombre joie à cet êtrecharmant

De se voir embrassée au suprême moment,

Par ton doux désespoir fidèle !

La pauvre âme a souri dans l’angoisse, ensentant

À travers l’eau sinistre et l’effroyableinstant

Que tu t’en venais avec elle !

Leurs âmes se parlaient sous les vaguesrumeurs.

– Que fais-tu ? disait-elle. – Etlui, disait : – Tu meurs ;

Il faut bien aussi que je meure ! –

Et, les bras enlacés, doux couplefrissonnant,

Ils se sont en allés dans l’ombre ; et,maintenant,

On entend le fleuve qui pleure.

Puisque tu fus si grand, puisque tu fus sidoux

Que de vouloir mourir, jeune homme, amant,époux,

Qu’à jamais l’aube en ta nuitbrille !

Aie à jamais sur toi l’ombre de Dieupenché !

Sois béni sous la pierre où te voilàcouché !

Dors, mon fils, auprès de ma fille !

Sois béni ! que la brise et que l’oiseaudes bois,

Passants mystérieux, de leur plus doucevoix

Te parlent dans ta maison sombre !

Que la source te pleure avec sa goutted’eau !

Que le frais liseron se glisse en tontombeau

Comme une caresse de l’ombre !

Oh ! s’immoler, sortir avec l’ange quisort,

Suivre ce qu’on aima dans l’horreur de lamort,

Dans le sépulcre ou sur les claies,

Donner ses jours, son sang et sesillusions !… –

Jésus baise en pleurant ces saintesactions

Avec les lèvres de ses plaies.

Rien n’égale ici-bas, rien n’atteint sous lescieux

Ces héros, doucement saignants et radieux,

Amour, qui n’ont que toi pour règle ;

Le génie à l’œil fixe, au vaste élanvainqueur,

Lui-même est dépassé par ces essors ducœur ;

L’ange vole plus haut que l’aigle.

Dors ! – Ô mes douloureux et sombresbien-aimés !

Dormez le chaste hymen du sépulcre !dormez !

Dormez au bruit du flot qui gronde,

Tandis que l’homme souffre, et que le ventlointain

Chasse les noirs vivants à travers ledestin,

Et les marins à travers l’onde !

Ou plutôt, car la mort n’est pas un lourdsommeil,

Envolez-vous tous deux dans l’abîmevermeil,

Dans les profonds gouffres de joie,

Où le juste qui meurt semble un soleillevant,

Où la morte au front pâle est comme un lysvivant,

Où l’ange frissonnant flamboie !

Fuyez, mes doux oiseaux ! évadez-voustous deux

Loin de notre nuit froide et loin du malhideux !

Franchissez l’éther d’un coupd’aile !

Volez loin de ce monde, âpre hiver sansclarté,

Vers cette radieuse et bleue éternité,

Dont l’âme humaine est l’hirondelle !

Ô chers êtres absents, on ne vous verraplus

Marcher au vert penchant des coteauxchevelus,

Disant tout bas de douces choses !

Dans le mois des chansons, des nids et deslilas,

Vous n’irez plus semant des sourires,hélas !

Vous n’irez plus cueillant desroses !

On ne vous verra plus, dans ces sentiersjoyeux,

Errer, et, comme si vous évitiez les yeux

De l’horizon vaste et superbe,

Chercher l’obscur asile et le taillisprofond

Où passent des rayons qui tremblent et quifont

Des taches de soleil sur l’herbe !

Villequier, Caudebec, et tous ces fraisvallons,

Ne vous entendront plus vous écrier :« Allons,

Le vent est bon, la Seine estbelle ! »

Comme ces lieux charmants vont être pleinsd’ennui !

Les hardis goélands ne diront plus :C’est lui !

Les fleurs ne diront plus : C’estelle !

Dieu, qui ferme la vie et rouvre l’idéal,

Fait flotter à jamais votre lit nuptial

Sous le grand dôme aux clairspilastres ;

En vous prenant la terre, il vous prit lesdouleurs ;

Ce père souriant, pour les champs pleins defleurs,

Vous donne les cieux remplisd’astres !

Allez des esprits purs accroître la tribu.

De cette coupe amère où vous n’avez pasbu,

Hélas ! nous viderons le reste.

Pendant que nous pleurons, de sanglotsabreuvés,

Vous, heureux, enivrés de vous-mêmes,vivez

Dans l’éblouissement céleste !

Vivez ! aimez ! ayez les bonheursinfinis.

Oh ! les anges pensifs, bénissant etbénis,

Savent seuls, sous les sacrés voiles,

Ce qu’il entre d’extase, et d’ombre, et deciel bleu,

Dans l’éternel baiser de deux âmes queDieu

Tout à coup change en deux étoiles !

Jersey, 4 septembre 1852.

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