Les Contemplations

XI. – Ponto

 

Je dis à mon chien noir : « Viens,Ponto, viens-nous-en ! »

Et je vais dans les bois, mis comme unpaysan ;

Je vais dans les grands bois, lisant dans lesvieux livres.

L’hiver, quand la ramée est un écrin degivres,

Ou l’été, quand tout rit, même l’aurore enpleurs,

Quand toute l’herbe n’est qu’un triomphe defleurs,

Je prends Froissart, Montluc, Tacite, quelquehistoire,

Et je marche, effaré des crimes de lagloire.

Hélas ! l’horreur partout, même chez lesmeilleurs !

Toujours l’homme en sa nuit trahi par sesveilleurs !

Toutes les grandes mains, hélas ! de sangrougies !

Alexandre ivre et fou, César perdud’orgies,

Et, le poing sur Didier, le pied surVitikind,

Charlemagne souvent semblable àCharles-Quint ;

Caton de chair humaine engraissant lamurène ;

Titus crucifiant Jérusalem ; Turenne,

Héros, comme Bayard et comme Catinat,

À Nordlingue, bandit dans lePalatinat ;

Le duel de Jarnac, le duel deCarrouge ;

Louis Neuf tenaillant les langues d’un ferrouge ;

Cromwell trompant Milton, Calvin brûlantServet.

Que de spectres, ô gloire ! autour de tonchevet !

Ô triste humanité, je fuis dans lanature !

Et, pendant que je dis : « Tout estleurre, imposture,

Mensonge, iniquité, mal de splendeurvêtu ! »

Mon chien Ponto me suit. Le chien, c’est lavertu

Qui, ne pouvant se faire homme, s’est faitebête.

Et Ponto me regarde avec son œil honnête.

Marine-Terrace, mars 1855.

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