XIII. – Cadaver
Ô mort ! heure splendide ! ô rayonsmortuaires !
Avez-vous quelquefois soulevé dessuaires ?
Et, pendant qu’on pleurait, et qu’au chevet dulit,
Frères, amis, enfants, la mère qui pâlit,
Éperdus, sanglotaient dans le deuil qui lesnavre,
Avez-vous regardé sourire lecadavre ?
Tout à l’heure il râlait, se tordait,étouffait ;
Maintenant il rayonne. Abîme ! qui doncfait
Cette lueur qu’a l’homme en entrant dans lesombres ?
Qu’est-ce que le sépulcre ? et d’oùvient, penseurs sombres,
Cette sérénité formidable des morts ?
C’est que le secret s’ouvre et que l’être estdehors ;
C’est que l’âme – qui voit, puis brille, puisflamboie, –
Rit, et que le corps même a sa terriblejoie.
La chair se dit : – Je vais être terre,et germer,
Et fleurir comme sève, et, comme fleur,aimer !
Je vais me rajeunir dans la jeunesseénorme
Du buisson, de l’eau vive, et du chêne, et del’orme,
Et me répandre aux lacs, aux flots, aux monts,aux prés,
Aux rochers, aux splendeurs des grandscouchants pourprés,
Aux ravins, aux halliers, aux brises de lanue,
Aux murmures profonds de la vieinconnue !
Je vais être oiseau, vent, cri des eaux, bruitdes cieux,
Et palpitation du tout prodigieux ! –
Tous ces atomes las, dont l’homme était lemaître,
Sont joyeux d’être mis en liberté dansl’être,
De vivre, et de rentrer au gouffre qui leurplaît.
L’haleine, que la fièvre aigrissait etbrûlait,
Va devenir parfum, et la voixharmonie ;
Le sang va retourner à la veine infinie,
Et couler, ruisseau clair, aux champs où lebœuf roux
Mugit le soir avec l’herbe jusqu’auxgenoux ;
Les os ont déjà pris la majesté desmarbres ;
La chevelure sent le grand frisson desarbres,
Et songe aux cerfs errants, au lierre, auxnids chantants
Qui vont l’emplir du souffle adoré duprintemps.
Et voyez le regard, qu’une ombre étrangevoile,
Et qui, mystérieux, semble un leverd’étoile !
Oui, Dieu le veut, la mort, c’est l’ineffablechant
De l’âme et de la bête à la fin selâchant ;
C’est une double issue ouverte à l’êtredouble.
Dieu disperse, à cette heure inexprimable ettrouble,
Le corps dans l’univers et l’âme dansl’amour.
Une espèce d’azur que dore un vague jour,
L’air de l’éternité, puissant, calme,salubre,
Frémit et resplendit sous le linceullugubre ;
Et des plis du drap noir tombent tous nosennuis.
La mort est bleue. Ô mort ! ô paix !l’ombre des nuits,
Le roseau des étangs, le roc du monticule,
L’épanouissement sombre du crépuscule,
Le vent, souffle farouche ou providentiel,
L’air, la terre, le feu, l’eau, tout, même leciel,
Se mêle à cette chair qui devientsolennelle.
Un commencement d’astre éclôt dans laprunelle.
Aucimetière, août 1855.