XXVI. – Crépuscule
L’étang mystérieux, suaire aux blanchesmoires,
Frissonne ; au fond du bois, la clairièreapparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sontnoires ;
Avez-vous vu Vénus à travers laforêt ?
Avez-vous vu Vénus au sommet descollines ?
Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous desamants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanchesmousselines ;
L’herbe s’éveille et parle aux sépulcresdormants.
Que dit-il, le brin d’herbe ? et querépond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sousles ifs.
Lèvre, cherche la bouche !aimez-vous ! la nuit tombe ;
Soyez heureux pendant que nous sommespensifs.
Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez ! faitesenvie,
Ô couples qui passez sous le vertcoudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de lavie,
On emporta d’amour, on l’emploie à prier.
Les mortes d’aujourd’hui furent jadis lesbelles.
Le ver luisant dans l’ombre erre avec sonflambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu desjavelles,
Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir letombeau.
La forme d’un toit noir dessine unechaumière ;
On entend dans les prés le pas lourd dufaucheur ;
L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur delumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendidefraîcheur.
Aimez-vous ! c’est le mois où les fraisessont mûres.
L’ange du soir rêveur, qui flotte dans lesvents,
Mêle, en les emportant sur ses ailesobscures,
Les prières des morts aux baisers desvivants.
Chelles, août 18…