Les Contemplations

XVII. – Chose vue un jour deprintemps

 

Entendant des sanglots, je poussai cetteporte.

Les quatre enfants pleuraient et la mère étaitmorte.

Tout dans ce lieu lugubre effrayait leregard.

Sur le grabat gisait le cadavrehagard ;

C’était déjà la tombe et déjà le fantôme.

Pas de feu ; le plafond laissait passerle chaume.

Les quatre enfants songeaient comme quatrevieillards.

On voyait, comme une aube à travers desbrouillards,

Aux lèvres de la morte un sinistresourire ;

Et l’aîné, qui n’avait que six ans, semblaitdire :

« Regardez donc cette ombre où le sortnous a mis ! »

Un crime en cette chambre avait étécommis.

Ce crime, le voici : – Sous le ciel quirayonne,

Une femme est candide, intelligente,bonne ;

Dieu, qui la suit d’en haut d’un regardattendri,

La fit pour être heureuse. Humble, elle a pourmari

Un ouvrier ; tous deux, sans aigreur,sans envie,

Tirent d’un pas égal le licou de la vie.

Le choléra lui prend son mari ; lavoilà

Veuve avec la misère et quatre enfants qu’ellea.

Alors, elle se met au labeur comme unhomme.

Elle est active, propre, attentive,économe ;

Pas de drap à son lit, pas d’âtre à sonfoyer ;

Elle ne se plaint pas, sert qui veutl’employer,

Ravaude de vieux bas, fait des nattes depaille,

Tricote, file, coud, passe les nuits,travaille

Pour nourrir ses enfants ; elle esthonnête enfin.

Un jour, on va chez elle, elle est morte defaim.

Oui, les buissons étaient remplis derouges-gorges,

Les lourds marteaux sonnaient dans la lueurdes forges,

Les masques abondaient dans les bals, etpartout

Les baisers soulevaient la dentelle duloup ;

Tout vivait ; les marchands comptaient degrosses sommes ;

On entendait rouler les chars, rire leshommes ;

Les wagons ébranlaient les plaines ; lesteamer

Secouait son panache au-dessus de lamer ;

Et, dans cette rumeur de joie et delumière,

Cette femme étant seule au fond de sachaumière,

La faim, goule effarée aux hurlementsplaintifs,

Maigre et féroce, était entrée à pasfurtifs,

Sans bruit, et l’avait prise à la gorge, ettuée.

La faim, c’est le regard de la prostituée,

C’est le bâton ferré du bandit, c’est lamain

Du pâle enfant volant un pain sur lechemin,

C’est la fièvre du pauvre oublié, c’est lerâle

Du grabat naufragé dans l’ombresépulcrale.

Ô Dieu ! la sève abonde, et, dans sesflancs troublés,

La terre est pleine d’herbe et de fruits et deblés,

Dès que l’arbre a fini, le sillonrecommence ;

Et, pendant que tout vit, ô Dieu, dans taclémence,

Que la mouche connaît la feuille dusureau,

Pendant que l’étang donne à boire aupassereau,

Pendant que le tombeau nourrit les vautourschauves,

Pendant que la nature, en ses profondeursfauves,

Fait manger le chacal, l’once et lebasilic,

L’homme expire ! – Oh ! la faim,c’est le crime public ;

C’est l’immense assassin qui sort de nosténèbres.

Dieu ! pourquoi l’orphelin, dans seslanges funèbres,

Dit-il : « J’ai faim ! »L’enfant, n’est-ce pas un oiseau ?

Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque auberceau ?

Avril 1840.

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