V.
Elle avait pris ce pli dans son âgeenfantin
De venir dans ma chambre un peu chaquematin ;
Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’onespère ;
Elle entrait et disait : « Bonjour,mon petit père « ;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres,s’asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers, etriait,
Puis soudain s’en allait comme un oiseau quipasse.
Alors, je reprenais, la tête un peu moinslasse,
Mon œuvre interrompue, et, tout enécrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontraissouvent
Quelque arabesque folle et qu’elle avaittracée,
Et mainte page blanche entre ses mainsfroissée
Où, je ne sais comment, venaient mes plus douxvers.
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, lesprés verts,
Et c’était un esprit avant d’être unefemme.
Son regard reflétait la clarté de son âme.
Elle me consultait sur tout à tousmoments.
Oh ! que de soirs d’hiver radieux etcharmants,
Passés à raisonner langue, histoire etgrammaire,
Mes quatre enfants groupés sur mes genoux,leur mère
Tout près, quelques amis causant au coin dufeu !
J’appelais cette vie être content depeu !
Et dire qu’elle est morte ! hélas !que Dieu m’assiste !
Je n’étais jamais gai quand je la sentaistriste ;
J’étais morne au milieu du bal le plusjoyeux
Si j’avais, en partant, vu quelque ombre enses yeux.
Novembre 1846, jour des morts.