Les Contemplations

XVIII. – Les oiseaux

 

Je rêvais dans un grand cimetièredésert ;

De mon âme et des morts j’écoutais leconcert,

Parmi les fleurs de l’herbe et les croix de latombe.

Dieu veut que ce qui naît sorte de ce quitombe.

Et l’ombre m’emplissait.

Autour de moi, nombreux,

Gais, sans avoir souci de mon frontténébreux,

Dans ce champ, lit fatal de la siestedernière,

Des moineaux francs faisaient l’écolebuissonnière.

C’était l’éternité que taquine l’instant.

Ils allaient et venaient, chantant, volant,sautant,

Égratignant la mort de leurs griffespointues,

Lissant leur bec au nez lugubre desstatues,

Becquetant les tombeaux, ces grainsmystérieux.

Je pris ces tapageurs ailés ausérieux ;

Je criai : – Paix aux morts ! vousêtes des harpies.

– Nous sommes des moineaux, me dirent cesimpies.

– Silence ! allez-vous-en !repris-je, peu clément.

Ils s’enfuirent ; j’étais le plus fort.Seulement,

Un d’eux resta derrière, et, pour toutemusique,

Dressa la queue, et dit : – Quel est cevieux classique ?

Comme ils s’en allaient tous, furieux,maugréant,

Criant, et regardant de travers le géant,

Un houx noir qui songeait près d’une tombe, unsage,

M’arrêta brusquement par la manche aupassage,

Et me dit : – Ces oiseaux sont dans leurfonction.

Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.

Dieu les envoie. Ils font vivre lecimetière.

Homme, ils sont la gaîté de la natureentière ;

Ils prennent son murmure au ruisseau, saclarté

À l’astre, son sourire au matinenchanté ;

Partout où rit un sage, ils lui prennent sajoie,

Et nous l’apportent ; l’ombre en lesvoyant flamboie ;

Ils emplissent leurs becs des cris desécoliers ;

À travers l’homme et l’herbe, et l’onde, etles halliers,

Ils vont pillant la joie en l’universimmense.

Ils ont cette raison qui te sembledémence.

Ils ont pitié de nous qui loin d’euxlanguissons ;

Et, lorsqu’ils sont bien pleins de jeux et dechansons,

D’églogues, de baisers, de tous lescommérages

Que les nids en avril font sous les vertsombrages,

Ils accourent, joyeux, charmants, légers,bruyants,

Nous jeter tout cela dans nos trouseffrayants ;

Et viennent, des palais, des bois, de lachaumière,

Vider dans notre nuit toute cettelumière !

Quand mai nous les ramène, ô songeur, nousdisons :

« Les voilà ! » tout s’émeut,pierres, tertres, gazons ;

Le moindre arbrisseau parle, et l’herbe est enextase ;

Le saule pleureur chante en achevant saphrase ;

Ils confessent les ifs, devenusbabillards ;

Ils jasent de la vie avec lescorbillards ;

Des linceuls trop pompeux ils décrochentl’agrafe ;

Ils se moquent du marbre ; ils saventl’orthographe ;

Et, moi qui suis ici le vieux chardonboudeur,

Devant qui le mensonge étale sa laideur,

Et ne se gêne pas, me traitant comme unhôte,

Je trouve juste, ami, qu’en lisant à voixhaute

L’épitaphe où le mort est toujours bon etbeau,

Ils fassent éclater de rire le tombeau.

Paris, mai 1835.

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