Les Contemplations

XXII.

 

La clarté du dehors ne distrait pas monâme.

La plaine chante et rit comme une jeunefemme ;

Le nid palpite dans les houx ;

Partout la gaîté luit dans les bouchesouvertes ;

Mai, couché dans la mousse au fond des grottesvertes,

Fait aux amoureux les yeux doux.

Dans les champs de luzerne et dans les champsde fèves,

Les vagues papillons errent pareils auxrêves ;

Le blé vert sort des sillons bruns ;

Et les abeilles d’or courent à lapervenche,

Au thym, au liseron, qui tend son urneblanche

À ces buveuses de parfums.

La nue étale au ciel ses pourpres et sescuivres ;

Les arbres, tout gonflés de printemps,semblent ivres ;

Les branches, dans leurs doux ébats,

Se jettent les oiseaux du bout de leursraquettes ;

Le bourdon galonné fait aux rosescoquettes

Des propositions tout bas.

Moi, je laisse voler les senteurs et lesbaumes,

Je laisse chuchoter les fleurs, ces douxfantômes,

Et l’aube dire : Vous vivrez !

Je regarde en moi-même, et, seul, oubliantl’heure,

L’œil plein des visions de l’ombreintérieure,

Je songe aux morts, ces délivrés !

Encore un peu de temps, encore, ô mersuperbe,

Quelques reflux ; j’aurai ma tombe aussidans l’herbe,

Blanche au milieu du frais gazon,

À l’ombre de quelque arbre où le lierres’attache ;

On y lira : – Passant, cette pierre tecache

La ruine d’une prison.

Ingouville, mai 1843.

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