Les Contemplations

XIV. – Claire P.

 

Quel âge hier ? Vingt ans. Et quel âgeaujourd’hui ?

L’éternité. Ce front pendant une heure alui.

Elle avait les doux chants et les grâcessuperbes ;

Elle semblait porter de radieusesgerbes ;

Rien qu’à la voir passer, on lui disait :Merci !

Qu’est-ce donc que la vie, hélas ! pourmettre ainsi

Les êtres les plus purs et les meilleurs enfuite ?

Et, moi, je l’avais vue encor toutepetite.

Elle me disait vous, et je lui disais tu.

Son accent ineffable avait cette vertu

De faire en mon esprit, douces voixéloignées,

Chanter le vague chœur de mes jeunesannées.

Il n’a brillé qu’un jour, ce beau frontingénu.

Elle était fiancée à l’hymen inconnu.

À qui mariez-vous, mon Dieu, toutes cesvierges ?

Un vague et pur reflet de la lueur descierges

Flottait dans son regard céleste etrayonnant ;

Elle était grande et blanche et gaie ;et, maintenant,

Allez à Saint-Mandé, cherchez dans le champsombre,

Vous trouverez le lit de sa noce avecl’ombre ;

Vous trouverez la tombe où gît ce lysvermeil ;

Et c’est là que tu fais ton éternelsommeil,

Toi qui, dans ta beauté naïve etrecueillie,

Mêlais à la madone auguste d’Italie

La Flamande qui rit à travers leshoublons,

Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveuxblonds.

Elle s’en est allée avant d’être unefemme ;

N’étant qu’un ange encor ; le ciel a prisson âme

Pour la rendre en rayons à nos regards enpleurs,

Et l’herbe, sa beauté, pour nous la rendre enfleurs.

Les êtres étoilés que nous nommonsarchanges

La bercent dans leurs bras au milieu deslouanges,

Et, parmi les clartés, les lyres, leschansons,

D’en haut elle sourit à nous quigémissons.

Elle sourit, et dit aux anges sous leursvoiles :

Est-ce qu’il est permis de cueillir desétoiles ?

Et chante, et, se voyant elle-mêmeflambeau,

Murmure dans l’azur : Comme le ciel estbeau !

Mais cela ne fait rien à sa mère quipleure ;

La mère ne veut pas que son doux enfantmeure

Et s’en aille, laissant ses fleurs sur legazon,

Hélas ! et le silence au seuil de lamaison !

Son père, le sculpteur, s’écriait : –Qu’elle est belle !

Je ferai sa statue aussi charmantequ’elle.

C’est pour elle qu’avril fleurit les vertssentiers.

Je la contemplerai pendant des moisentiers

Et je ferai venir du marbre de Carrare.

Ce bloc prendra sa forme éblouissante etrare ;

Elle restera chaste et candide à côté.

On dira : « Le sculpteur a deuxfilles : Beauté

« Et Pudeur ; Ombre et Jour ;la Vierge et la Déesse ;

« Quel est cet ouvrier de Rome ou de laGrèce

« Qui, trouvant dans son art des secretsinconnus,

« En copiant Marie, a su faireVénus ? »

Le marbre restera dans la montagneblanche,

Hélas ! car c’est à l’heure où tout rit,que tout penche ;

Car nos mains gardent mal tout ce qui nous estcher ;

Car celle qu’on croyait d’azur était dechair ;

Et celui qui taillait le marbre était deverre ;

Et voilà que le vent a soufflé, Dieusévère,

Sur la vierge au front pur, sur le maître aubras fort ;

Et que la fille est morte, et que le père estmort !

Claire, tu dors. Ta mère, assise sur tafosse,

Dit : – Le parfum des fleurs est faux,l’aurore est fausse,

L’oiseau qui chante au bois ment, et le cygnement,

L’étoile n’est pas vraie au fond dufirmament,

Le ciel n’est pas le ciel et là-haut rien nebrille,

Puisque, lorsque je crie à ma fille :« Ma fille,

Je suis là. Lève-toi ! » quelqu’unle lui défend ;

Et que je ne puis pas réveiller monenfant ! –

Juin 1854.

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