VIII.
Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ouvieux.
Comme le soleil fait serein ou pluvieux
L’azur dont il est l’âme et que sa clartédore,
Tu peux m’emplir de brume ou m’inonderd’aurore,
Du haut de ta splendeur, si pure qu’en sesplis,
Tu sembles une femme enfermée en un lis,
Et qu’à d’autres moments, l’œil qu’éblouit tonâme
Croit voir, en te voyant, un lis dans unefemme.
Si tu m’as souri, Dieu ! tout mon êtrebondit !
Si, Madame, au milieu de tous, vous m’avezdit,
À haute voix : « Bonjour,Monsieur », et bas : « Je t’aime ! »
Si tu m’as caressé de ton regard suprême,
Je vis ! je suis léger, je suis fier, jesuis grand ;
Ta prunelle m’éclaire en metransfigurant ;
J’ai le reflet charmant des yeux dont tum’accueilles ;
Comme on sent dans un bois des ailes sous lesfeuilles,
On sent de la gaîté sous chacun de mesmots ;
Je cours, je vais, je ris ; plusd’ennuis, plus de maux ;
Et je chante, et voilà sur mon front lajeunesse !
Mais que ton cœur injuste, un jour, meméconnaisse ;
Qu’il me faille porter en moi, jusqu’àdemain,
L’énigme de ta main retirée à mamain ;
– Qu’ai-je fait ?qu’avait-elle ? Elle avait quelque chose.
Pourquoi, dans la rumeur du salon où l’oncause,
Personne n’entendant, me disait-ellevous ? –
Si je ne sais quel froid dans ton regard sidoux
A passé comme passe au ciel une nuée,
Je sens mon âme en moi toutediminuée ;
Je m’en vais, courbé, las, sombre comme unaïeul ;
Il semble que sur moi, secouant sonlinceul,
Se soit soudain penché le noir vieillardDécembre ;
Comme un loup dans son trou, je rentre dans machambre :
Le chagrin – âge et deuil, hélas ! ont lemême air, –
Assombrit chaque trait de mon visage amer,
Et m’y creuse une ride avec sa mainpesante.
Joyeux, j’ai vingt-cinq ans ; triste,j’en ai soixante.
Paris, juin 18…