XV. – À Alexandre D.
(Réponse à la dédicace de son drame La Conscience)
Merci du bord des mers à celui qui setourne
Vers la rive où le deuil, tranquille et noir,séjourne,
Qui défait de sa tête, où le rayondescend,
La couronne, et la jette au spectre del’absent,
Et qui, dans le triomphe et la rumeur,dédie
Son drame à l’immobile et pâletragédie !
Je n’ai pas oublié le quai d’Anvers, ami,
Ni le groupe vaillant, toujours plusraffermi,
D’amis chers, de fronts purs, ni toi, ni cettefoule.
Le canot du steamer soulevé par la houle
Vint me prendre, et ce fut un longembrassement.
Je montai sur l’avant du paquebot fumant,
La roue ouvrit la vague, et nous nousappelâmes :
– Adieu ! – Puis, dans les vents,dans les flots, dans les lames,
Toi debout sur le quai, moi debout sur lepont,
Vibrant comme deux luths dont la voix serépond,
Aussi longtemps qu’on put se voir, nousregardâmes
L’un vers l’autre, faisant comme un échanged’âmes ;
Et le vaisseau fuyait, et la terredécrut ;
L’horizon entre nous monta, toutdisparut ;
Une brume couvrit l’ondeincommensurable ;
Tu rentras dans ton œuvre éclatante,innombrable,
Multiple, éblouissante, heureuse, où le jourluit ;
Et, moi, dans l’unité sinistre de la nuit.
Marine-Terrace, décembre 1854.