XVIII. – Apparition
Je vis un ange blanc qui passait sur matête ;
Son vol éblouissant apaisait la tempête,
Et faisait taire au loin la mer pleine debruit.
– Qu’est-ce que tu viens faire, ange,dans cette nuit ?
Lui dis-je. Il répondit : – Je viensprendre ton âme.
Et j’eus peur, car je vis que c’était unefemme ;
Et je lui dis, tremblant et lui tendant lesbras :
– Que me restera-t-il ? car tut’envoleras.
Il ne répondit pas ; le ciel que l’ombreassiège
S’éteignait… – Si tu prends mon âme,m’écriai-je,
Où l’emporteras-tu ? montre-moi dans quellieu.
Il se taisait toujours. – Ô passant du cielbleu,
Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tula vie ?
Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,
Et l’ange devint noir, et dit : – Je suisl’amour.
Mais son front sombre était plus charmant quele jour,
Et je voyais, dans l’ombre où brillaient sesprunelles,
Les astres à travers les plumes de sesailes.
Jersey, septembre 1855.