V. – Croire, mais pas en nous
Parce qu’on a porté du pain, du lingeblanc,
À quelque humble logis sous les comblestremblant
Comme le nid parmi les feuillesinquiètes ;
Parce qu’on a jeté ses restes et sesmiettes
Au petit enfant maigre, au vieillardpâlissant,
Au pauvre qui contient l’éterneltout-puissant ;
Parce qu’on a laissé Dieu manger sous satable,
On se croit vertueux, on se croitcharitable !
On dit : « Je suis parfait !louez-moi ; me voilà ! »
Et, tout en blâmant Dieu de ceci, de cela,
De ce qu’il pleut, du mal dont on le dit lacause,
Du chaud, du froid, on fait sa propreapothéose.
Le riche qui, gorgé, repu, fier,paresseux,
Laisse un peu d’or rouler de son palais surceux
Que le noir janvier glace et que la faimharcèle,
Ce riche-là, qui brille et donne uneparcelle
De ce qu’il a de trop à qui n’a pas assez,
Et qui, pour quelques sous du pauvreramassés,
S’admire et ferme l’œil sur sa propremisère,
S’il a le superflu, n’a pas lenécessaire :
La justice ; et le loup rit dans l’ombreen marchant
De voir qu’il se croit bon pour n’être pasméchant.
Nous bons ! nous fraternels ! ôfange et pourriture !
Mais tournez donc vos yeux vers la mèrenature !
Que sommes-nous, cœurs froids où l’égoïsmebout,
Auprès de la bonté suprême éparse entout ?
Toutes nos actions ne valent pas la rose.
Dès que nous avons fait par hasard quelquechose,
Nous nous vantons, hélas ! vains soufflesqui fuyons !
Dieu donne l’aube au ciel sans compter lesrayons,
Et la rosée aux fleurs sans mesurer lesgouttes ;
Nous sommes le néant ; nos vertustiendraient toutes
Dans le creux de la pierre où vient boirel’oiseau.
L’homme est l’orgueil du cèdre emplissant leroseau.
Le meilleur n’est pas bon, vraiment, tantl’homme est frêle ;
Et tant notre fumée à nos vertus semêle !
Le bienfait par nos mains pompeusementjeté
S’évapore aussitôt dans notrevanité ;
Même en le prodiguant aux pauvres d’un airtendre,
Nous avons tant d’orgueil que notre or devientcendre ;
Le bien que nous faisons est spectre commenous.
L’Incréé, seul vivant, seul terrible et seuldoux,
Qui juge, aime, pardonne, engendre, construit,fonde,
Voit nos hauteurs avec une pitié profonde.
Ah ! rapides passants ! ne comptonspas sur nous,
Comptons sur lui. Pensons et vivons àgenoux ;
Tâchons d’être sagesse, humilité,lumière ;
Ne faisons point un pas qui n’aille à laprière ;
Car nos perfections rayonneront bien peu
Après la mort, devant l’étoile et le cielbleu.
Dieu seul peut nous sauver. C’est un rêve decroire
Que nos lueurs d’en bas sont là-haut de lagloire ;
Si lumineux qu’il ait paru dans notrehorreur,
Si doux qu’il ait été pour nos cœurs pleinsd’erreur,
Quoi qu’il ait fait, celui que sur la terre onnomme
Juste, excellent, pur, sage et grand, là-hautest l’homme,
C’est-à-dire la nuit en présence dujour ;
Son amour semble haine auprès du grandamour ;
Et toutes ses splendeurs, poussant des crisfunèbres,
Disent en voyant Dieu : Nous sommes lesténèbres !
Dieu, c’est le seul azur dont le monde aitbesoin.
L’abîme en en parlant prend l’atome àtémoin.
Dieu seul est grand ! c’est là le psaumedu brin d’herbe ;
Dieu seul est vrai ! c’est là l’hymne duflot superbe ;
Dieu seul est bon ! c’est là le murmuredes vents ;
Ah ! ne vous faites pas d’illusions,vivants !
Et d’où sortez-vous donc, pour croire que vousêtes
Meilleurs que Dieu, qui met les astres sur vostêtes,
Et qui vous éblouit, à l’heure du réveil,
De ce prodigieux sourire, le soleil !
Marine-Terrace, décembre 1854.