Les Contemplations

XII. – Dolorosæ

 

Mère, voilà douze ans que notre fille estmorte ;

Et depuis, moi le père et vous la femmeforte,

Nous n’avons pas été, Dieu le sait, un seuljour

Sans parfumer son nom de prière etd’amour.

Nous avons pris la sombre et charmantehabitude

De voir son ombre vivre en notre solitude,

De la sentir passer et de l’entendreerrer,

Et nous sommes restés à genoux à pleurer.

Nous avons persisté dans cette douleurdouce,

Et nous vivons penchés sur ce cher nid demousse

Emporté dans l’orage avec les deuxoiseaux.

Mère, nous n’avons pas plié, quoiqueroseaux,

Ni perdu la bonté vis-à-vis l’un del’autre,

Ni demandé la fin de mon deuil et du vôtre

À cette lâcheté qu’on appelle l’oubli.

Oui, depuis ce jour triste où pour nous ontpâli

Les cieux, les champs, les fleurs, l’étoile,l’aube pure,

Et toutes les splendeurs de la sombrenature,

Avec les trois enfants qui nous restent,trésor

De courage et d’amour que Dieu nous laisseencor,

Nous avons essuyé des fortunes diverses,

Ce qu’on nomme malheur, adversité,traverses,

Sans trembler, sans fléchir, sans haïr lesécueils,

Donnant aux deuils du cœur, à l’absence, auxcercueils,

Aux souffrances dont saigne ou l’âme ou lafamille,

Aux êtres chers enfuis ou morts, à notrefille,

Aux vieux parents repris par un mondemeilleur,

Nos pleurs, et le sourire à toute autredouleur.

Marine-Terrace, août 1855.

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