XXVI. – Joies du soir
Le soleil, dans les monts où sa clartés’étale,
Ajuste à son arc d’or sa flèchehorizontale ;
Les hauts taillis sont pleins de biches et defaons ;
Là rit dans les rochers, veinés comme desmarbres,
Une chaumière heureuse ; en haut, unbouquet d’arbres ;
Au-dessous, un bouquet d’enfants.
C’est l’instant de songer aux chosesredoutables.
On entend les buveurs danser autour destables ;
– Tandis que, gais, joyeux, heurtant lesescabeaux,
Ils mêlent aux refrains leurs amours peufarouches,
Les lettres des chansons qui sortent de leursbouches
Vont écrire autour d’eux leurs noms sur leurstombeaux.
– Mourir ! demandons-nous, à touteheure, en nous-même :
– Comment passerons-nous le passagesuprême ? –
Finir avec grandeur est un illustreeffort.
Le moment est lugubre et l’âme estaccablée ;
Quel pas que la sortie ! – Oh !l’affreuse vallée
Que l’embuscade de la mort !
Quel frisson dans les os de l’agonisantblême !
Autour de lui tout marche et vit, tout rit,tout aime ;
La fleur luit, l’oiseau chante en son palaisd’été,
Tandis que le mourant, en qui décroît laflamme,
Frémit sous ce grand ciel, précipice del’âme,
Abîme effrayant d’ombre et detranquillité !
Souvent, me rappelant le front étrange etpâle
De tous ceux que j’ai vus à cette heurefatale,
Êtres qui ne sont plus, frères, amis,parents,
Aux instants où l’esprit à rêver sehasarde,
Souvent je me suis dit : Qu’est-ce doncqu’il regarde
Cet œil effaré des mourants ?
Que voit-il ?… – Ô terreur ! deténébreuses routes,
Un chaos composé de spectres et de doutes,
La terre vision, le ver réalité,
Un jour oblique et noir qui, troublant l’âmeerrante,
Mêle au dernier rayon de la vie expirante
Ta première lueur, sinistreéternité !
On croit sentir dans l’ombre une horriblepiqûre.
Tout ce qu’on fit s’en va comme une fêteobscure,
Et tout ce qui riait devient peine ouremord.
Quel moment, même, hélas ! pour l’âme laplus haute,
Quand le vrai tout à coup paraît, quand la vieôte
Son masque, et dit : « Je suis lamort ! »
Ah ! si tu fais trembler même un cœursans reproche,
Sépulcre ! le méchant avec horreurt’approche.
Ton seuil profond lui semble une rougeur defeu ;
Sur ton vide pour lui quand ta pierre selève,
Il s’y penche ; il y voit, ainsi que dansun rêve,
La face vague et sombre et l’œil fixe deDieu.
Biarritz, juillet 1843.