Les Contemplations

XXVIII. – Un soir que je regardais leciel

 

Elle me dit, un soir, en souriant :

– Ami, pourquoi contemplez-vous sanscesse

Le jour qui fuit, ou l’ombre quis’abaisse,

Ou l’astre d’or qui monte àl’orient ?

Que font vos yeux là-haut ? je lesréclame.

Quittez le ciel ; regardez dans monâme !

Dans ce ciel vaste, ombre où vous vousplaisez,

Où vos regards démesurés vont lire,

Qu’apprendrez-vous qui vaille monsourire ?

Qu’apprendras-tu qui vaille nosbaisers ?

Oh ! de mon cœur lève les chastesvoiles.

Si tu savais comme il est pleind’étoiles !

Que de soleils ! vois-tu, quand nousaimons,

Tout est en nous un radieux spectacle.

Le dévouement, rayonnant sur l’obstacle,

Vaut bien Vénus qui brille sur les monts.

Le vaste azur n’est rien, je tel’atteste ;

Le ciel que j’ai dans l’âme est pluscéleste !

C’est beau de voir un astre s’allumer.

Le monde est plein de merveilleuseschoses.

Douce est l’aurore, et douces sont lesroses.

Rien n’est si doux que le charmed’aimer !

La clarté vraie et la meilleure flamme,

C’est le rayon qui va de l’âme àl’âme !

L’amour vaux mieux, au fond des antresfrais,

Que ces soleils qu’on ignore et qu’onnomme.

Dieu mit, sachant ce qui convient àl’homme,

Le ciel bien loin et la femme tout près.

Il dit à ceux qui scrutent l’azursombre :

« Vivez ! aimez ! le reste,c’est mon ombre ! »

Aimons ! c’est tout. Et Dieu le veutainsi.

Laisse ton ciel que de froids rayonsdorent !

Tu trouveras, dans deux yeux quit’adorent,

Plus de beauté, plus de lumièreaussi !

Aimer, c’est voir, sentir, rêver,comprendre.

L’esprit plus grand s’ajoute au cœur plustendre.

Viens, bien-aimé ! n’entends-tu pastoujours

Dans nos transports une harmonieétrange ?

Autour de nous la nature se change

En une lyre et chante nos amours !

Viens ! aimons-nous ! errons sur lapelouse.

Ne songe plus au ciel ! j’en suisjalouse ! –

Ma bien-aimée ainsi tout bas parlait,

Avec son front posé sur sa main blanche,

Et l’œil rêveur d’un ange qui se penche,

Et sa voix grave, et cet air qui meplaît ;

Belle et tranquille, et de me voircharmée,

Ainsi tout bas parlait ma bien-aimée.

Nos cœurs battaient ; l’extasem’étouffait ;

Les fleurs du soir entr’ouvraient leurscorolles…

Qu’avez-vous fait, arbres, de nosparoles ?

De nos soupirs, rochers, qu’avez-vousfait ?

C’est un destin bien triste que le nôtre,

Puisqu’un tel jour s’envole comme unautre !

Ô souvenir ! trésor dans l’ombreaccru !

Sombre horizon des anciennespensées !

Chère lueur des choses éclipsées !

Rayonnement du passé disparu !

Comme du seuil et du dehors d’un temple,

L’œil de l’esprit en rêvant vouscontemple !

Quand les beaux jours font place aux joursamers,

De tout bonheur il faut quitterl’idée ;

Quand l’espérance est tout à fait vidée,

Laissons tomber la coupe au fond des mers.

L’oubli ! l’oubli ! c’est l’onde oùtout se noie ;

C’est la mer sombre où l’on jette sa joie.

Montf., septembre 18… – Brux…, janvier 18…

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