VIII. – Claire
Quoi donc ! la vôtre aussi ! lavôtre suit la mienne !
Ô mère au cœur profond, mère, vous avezbeau
Laisser la porte ouverte afin qu’ellerevienne,
Cette pierre là-bas dans l’herbe est untombeau !
La mienne disparut dans les flots qui semêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tut’envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l’ombre elless’appellent,
Qu’elles s’en vont ainsi l’une après l’autre,hélas ?
Enfant qui rayonnais, qui chassais latristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d’abord la charmas avec ta petitesse
Et plus tard lui remplis de clartél’horizon,
Voilà donc que tu dors sous cette pierregrise !
Voilà que tu n’es plus, ayant à peineété !
L’astre attire le lys, et te voilàreprise,
Ô vierge, par l’azur, cettevirginité !
Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive auxbois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée àl’abîme
Des rayons, des amours, des parfums et desvoix !
Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuitnoire.
Nous voyons seulement, comme pour nousbénir,
Errer dans notre ciel et dans notremémoire
Ta figure, nuage, et ton nom,souvenir !
Pressentais-tu déjà ton sombreépithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour lescieux !
En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les cœurs les plus saignants ne haïssaientplus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth laglaneuse,
Et, comme Ruth l’épi, tu ramassais lebien.
La nature, ô front pur, versait sur toi sagrâce,
L’aurore sa candeur, et les champs leurbonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleurpasse,
Toute cette douceur dans toute tabeauté !
Chaste, elle paraissait ne pas être autrechose
Que la forme qui sort des cieuxéblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait larose,
Et de tous les amours elle semblaitl’encens.
Ceux qui n’ont pas connu cette charmantefille
Ne peuvent pas savoir ce qu’était ceregard
Transparent comme l’eau qui s’égaye et quibrille
Quand l’étoile surgit sur l’océan hagard.
Elle était simple, franche, humble, naïve etbonne ;
Chantant à demi-voix son chant d’illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sapersonne
De vague et de lointain comme la vision.
On sentait qu’elle avait peu de temps sur laterre,
Qu’elle n’apparaissait que pours’évanouir,
Et qu’elle acceptait peu sa vieinvolontaire ;
Et la tombe semblait par momentsl’éblouir.
Elle a passé dans l’ombre où l’homme serésigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passésans bruit,
Belle, candide, ainsi qu’une plume decygne
Qui reste blanche, même en traversant lanuit !
Elle s’en est allée à l’aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le cielbleu,
Bouche qui n’a connu que le baiser durêve,
Âme qui n’a dormi que dans le lit deDieu !
Nous voici maintenant en proie aux deuils sansbornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueilssacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbresmornes
La disparition des êtres adorés !
Croire qu’ils resteraient ! quelsonge ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour denos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sanscesse
Ces fantômes charmants que nous croyons ànous.
Ils sont là, près de nous, jouant sur notreroute ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s’endoute,
Leurs ailes font parfois de l’ombre sur lemur.
Ils viennent sous nos toits ; avec nousils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille !ou : Mon fils ! ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, etmeurent. –
Ô mère, ce sont là les anges,voyez-vous !
C’est une volonté du sort, pour noussévère,
Qu’ils rentrent vite au ciel resté pour euxouvert ;
Et qu’avant d’avoir mis leur lèvre à notreverre,
Avant d’avoir rien fait et d’avoir riensouffert,
Ils partent radieux ; et qu’ignorantl’envie,
L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, ladouleur,
Tous ces êtres bénis s’envolent de la vie
À l’âge où la prunelle innocente est enfleur !
Nous qui sommes démons ou qui sommesapôtres,
Nous devons travailler, attendre,préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pourd’autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doiventpleurer.
Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui nese pose
Qu’un instant, le soupir qui vole, avrilvermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfumde la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon dusoleil !
Ils ont ce grand dégoût mystérieux del’âme
Pour notre chair coupable et pour notredestin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu’un autre azurréclame,
Je ne sais quelle soif de mourir lematin !
Ils sont l’étoile d’or se couchant dansl’aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l’autrefirmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vientéclore,
Continue, au delà, l’épanouissement !
Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, lesvainqueurs,
À qui Dieu n’a permis que d’effleurer laterre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvrescœurs.
Comme l’ange à Jacob, comme Jésus àPierre,
Ils viennent jusqu’à nous qui loin d’euxétouffons,
Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sapaupière
La sereine clarté des paradis profonds.
Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes lesplaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l’aube à travers nosclaies,
Et chanté la chanson du ciel dans nosmaisons,
Ils retournent là-haut parler à Dieu deshommes,
Et, pour lui faire voir quel est notrechemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que noussommes,
S’en vont avec un peu de terre dans lamain.
Ils s’en vont ; c’est tantôt l’éclair quiles emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soinssuperflus.
Alors, nous, pâles, froids, l’œil fixé sur laporte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sontplus.
Nous disons : – À quoi bon l’âtre sansétincelles ?
À quoi bon la maison où ne sont plus leurspas ?
À quoi bon la ramée où ne sont plus lesailes ?
Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendrontpas ? –
Ils sont partis, pareils au bruit qui sort deslyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre oùtout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmantssourires
Parfois nous apparaît vaguement dans lanuit.
Car ils sont revenus, et c’est là lemystère ;
Nous entendons quelqu’un flotter, un souffleerrer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvonspleurer.
Nous sentons frissonner leurs cheveux dansnotre ombre ;
Nous sentons, lorsqu’ayant la lassitude ennous,
Nous nous levons après quelque prièresombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nosgenoux.
Ils nous disent tout bas de leur voix la plustendre :
« Mon père ! encore un peu ! mamère ! encore un jour !
« M’entends-tu ? je suis là, jereste pour t’attendre
« Sur l’échelon d’en bas de l’échelled’amour.
« Je t’attends pour pouvoir nous en allerensemble.
« Cette vie est amère, et tu vas ensortir.
« Pauvre cœur, ne crains rien, Dieuvit ! la mort rassemble.
« Tu redeviendras ange ayant étémartyr. »
Oh ! quand donc viendrez-vous ? vousretrouver, c’est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu’un idéalflambeau,
La douce étoile mort, rayonnante,apparaître
À ce noir horizon qu’on nomme letombeau ?
Quand nous en irons-nous où vous êtes,colombes !
Où sont les enfants morts et les printempsenfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes lestombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes lesnuits ?
Vers ce grand ciel clément où sont tous lesdictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs etdoux,
Les baisers des esprits et les regards desâmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous enirons-nous ?
Quand nous en irons-nous où sont l’aube et lafoudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommesencor,
Notre chair ténébreuse en rayons sedissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailesd’or ?
Quand nous enfuirons-nous dans la joieinfinie
Où les hymnes vivants sont des angesvoilés,
Où l’on voit, à travers l’azur del’harmonie,
La strophe bleue errer sur les luthsétoilés ?
Quand viendrez-vous chercher notre humble cœurqui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce mondecharnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs del’ombre,
Sous l’éblouissement du regardéternel ?
Décembre 1846.
