Les Contemplations

XXII. – La fête chez Thérèse

 

La chose fut exquise et fort bienordonnée.

C’était au mois d’avril, et dans unejournée

Si douce, qu’on eût dit qu’amour l’eût faiteexprès.

Thérèse la duchesse à qui je donnerais,

Si j’étais roi, Paris, si j’étais Dieu, lemonde,

Quand elle ne serait que Thérèse lablonde ;

Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,

Nous avait conviés dans son jardincharmant.

On était peu nombreux. Le choix faisait lafête.

Nous étions tous ensemble et chacun tête àtête.

Des couples pas à pas erraient de touscôtés.

C’étaient les fiers seigneurs et les raresbeautés,

Les Amyntas rêvant auprès des Léonores,

Les marquises riant avec lesmonsignores ;

Et l’on voyait rôder dans les grandsescaliers

Un nain qui dérobait leur bourse auxcavaliers.

À midi, le spectacle avec la mélodie.

Pourquoi jouer Plautus la nuit ? Lacomédie

Est une belle fille, et rit mieux au grandjour.

Or, on avait bâti, comme un templed’amour,

Près d’un bassin dans l’ombre habité par uncygne,

Un théâtre en treillage où grimpait unevigne.

Un cintre à claire-voie en anse de panier,

Cage verte où sifflait un bouvreuilprisonnier,

Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorgesblanches,

Les actrices sentaient errer l’ombre desbranches.

On entendait au loin de magiquesaccords ;

Et, tout en haut, sortant de la frise àmi-corps,

Pour attirer la foule aux lazzis qu’ilrépète,

Le blanc Pulcinella sonnait de latrompette.

Deux faunes soutenaient le manteaud’Arlequin ;

Trivelin leur riait au nez comme unfaquin.

Parmi les ornements sculptés dans letreillage,

Colombine dormait dans un gros coquillage,

Et, quand elle montrait son sein et ses brasnus,

On eût cru voir la conque, et l’on eût ditVénus.

Le seigneur Pantalon, dans une niche, àdroite,

Vendait des limons doux sur une tableétroite,

Et criait par instants :« Seigneurs, l’homme est divin.

Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme afait le vin ! »

Scaramouche en un coin harcelait de sabatte

Le tragique Alcantor, suivi du tristeArbate ;

Crispin, vêtu de noir, jouait del’éventail ;

Perché, jambe pendante, au sommet duportail,

Carlino se penchait, écoutant les aubades,

Et son pied ébauchait de rêveusesgambades.

Le soleil tenait lieu de lustre ; lasaison

Avait brodé de fleurs un immense gazon,

Vert tapis déroulé sous maint groupefolâtre.

Rangés des deux côtés de l’agrestethéâtre,

Les vrais arbres du parc, les sorbiers, leslilas,

Les ébéniers qu’avril charge de falbalas,

De leur sève embaumée exhalant lesdélices,

Semblaient se divertir à faire lescoulisses,

Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs commedes yeux,

Joignaient aux violons leur murmurejoyeux ;

Si bien qu’à ce concert gracieux etclassique,

La nature mêlait un peu de sa musique.

Tout nous charmait, les bois, le jour serein,l’air pur,

Les femmes tout amour, et le ciel toutazur.

Pour la pièce, elle était fort bonne, quoiqueancienne.

C’était, nonchalamment assis surl’avant-scène,

Pierrot, qui haranguait, dans un graveentretien,

Un singe timbalier à cheval sur un chien.

Rien de plus. C’était simple et beau. – Parintervalles,

Le singe faisait rage et cognait sestimbales ;

Puis Pierrot répliquait. – Écoutait quivoulait.

L’un faisait apporter des glaces auvalet ;

L’autre, galant drapé d’une capefantasque,

Parlait bas à sa dame en lui nouant sonmasque ;

Trois marquis attablés chantaient unechanson ;

Thérèse était assise à l’ombre d’unbuisson :

Les roses pâlissaient à côté de sa joue,

Et, la voyant si belle, un paon faisait laroue.

Moi, j’écoutais, pensif, un profanecouplet

Que fredonnait dans l’ombre un abbéviolet.

La nuit vint, tout se tut ; les flambeauxs’éteignirent ;

Dans les bois assombris les sources seplaignirent ;

Le rossignol, caché dans son nidténébreux,

Chanta comme un poëte et comme unamoureux.

Chacun se dispersa sous les profondsfeuillages ;

Les folles en riant entraînèrent lessages ;

L’amante s’en alla dans l’ombre avecl’amant ;

Et, troublés comme on l’est en songe,vaguement,

Ils sentaient par degrés se mêler à leurâme,

À leurs discours secrets, à leurs regards deflamme ;

À leur cœur, à leurs sens, à leur molleraison,

Le clair de lune bleu qui baignaitl’horizon.

Avril 18…

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